Pourquoi écrire ou peindre?

19/2/2002


De l’autre coté ... la parole: Entre les mots et les choses, il y a quelque chose plutôt que rien, un presque rien, la parole dans le silence d'un entre deux,  un vide créateur...

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Ecrire ou peindre, c'est toujours l'expression d'une liberté qui ouvre l'espace d'un jeu créateur, dans le jardin de la joie de toute rencontre, celui du Je et du Tu, mais dans ce jeu , en apparence à deux, il y a un enjeu qui est un troisième! C'est toujours jouer et jouir de ce Jeu, mais c'est aussi ouïr et s'engager, dire oui au jeu de la vie. C'est être à l'écoute du silence entre les choses et les mots, dans l'espace qui s'ouvre et se ferme, entre le trait et le retrait, comme le sillon du paysan derrière la charrue. L'art ici rend la terre visible et lisible. il ouvre le champs de l'interprétation, du jeu créateur jamais réductible au jeu des possibles, mais toujours ouverte car la terre, un paysage comme un visage est ce possible où se rejoignent le pain de l'artiste et celui du paysan.

 

T'écrire, c'est me rendre vulnérable, m'exposer nu sous ton regard. C'est circoncire une parole à travers des mots trop petits, mais toujours prêts à transmettre une semence, celle de la vie. Circoncision et concision du Verbe par laquelle l'autre s'inscrit comme une blessure dans notre discours. A chaque instant on prête le flanc au surgissement de l'autre qui peut culbuter tout sens préétablit. Pourquoi cette vulnérabilité des mots qui dévoile l'amour en son origine? Y a-t-il plus dans ce jeu de miroir de nos désirs que des sentiments, un besoin d'exercice physique et intellectuel? Simple érotisme sentimental, ou masturbation d'un esprit trop solitaire? «On ne trouve pas la solitude, on la fait. La solitude elle se fait toute seule, Je l'ai faite, parce que j'ai décidé que c'était là que je devrais être seule, que je serais seule pour écrire des livres.»
Qui se cache derrière ces couleurs et ces mots? Qui se dévoile derrière ces caresses sur un simple papier pour combler l'absence d'un corps? Mais ici le corps dépasse ses limites de temps et d'espace. Comme le dit Marguerite Duras : «La solitude de l'écriture, c'est une solitude sans quoi l'écrit ne se produit pas»

 

Quand le non-dit et le silence des couleurs et des mots disent plus que ce que les mains peuvent dire! Les mots, alors sont des miroirs qui disent plus que des mirages et de simples illusions. Les mots sont des semences où germent une vie nouvelle, derrière ces pauvres mots, dans leur naissante fragilité quelque chose veut naître, une lumière se cache dans la nuit de nos peurs, de nos angoisses, Derrière ces mots se cachent d'autres maux…de chair et de sang, bien des souffrances, d'échecs et d'illusions, et surtout beaucoup de désillusions… Derrière ces mots d'amour scintillent bien des mirages et de virages de l'existence, bien des montagnes d'égoïsme mais derrière l'horizon, brille toujours une espérance, une étoile dans ce ciel. Une simple étoile, mais qui nous guide vers d'autres rivages. Miracle de l'autre qui ouvre un espace celui du Jeu de l'entre-deux", dans l'espace du Je et du TU, un petit rien, qui change tout. Aimer est toujours une réalité à faire, toujours en commencement jamais fini. L'amour se joue toujours entre le déjà là et dans le pas encore dans l'ivresse du Tu. Aimer ce n'est pas exposer ce corps que l'on a au soleil de l'autre, mais ce n'est pas avant tout produire des images, mais c'est respirer à deux poumons, jouir de l'air que l'on respire. Exercer ce corps que l'on devient en marchant, en dansant, en riant et en chantant cette mélodie du bonheur, ce concerto à deux voix. La vie naît de l'interaction intime de chacun de ces pôles avec l'autre.

Jouer, jouir, ouïr son secret, et dire oui ou non. La vie naît toujours de la rencontre des contraires. L'un ne peut naître sans l'autre. Rien ne peut être sans les deux ensembles, égaux , nécessaires et complémentaires. Il ne naît pas de L'un sans l'autre. On ne peut choisir l'un au détriment de l'autre. Entrer dans ce chemin, c'est sortir du sien. Le trouver c'est se perdre. Entrer sur ce terrain, c'est laisser son chemin, passer de l'itinéraire à l'errance, devenir mendiant d'un troisième qui advient d'autant mieux que que l'autre se fait plus absent. Jouer ici, jouir et ouïr le secret de cette errance, s'engager, dire oui ou non sans idéaliser ni diaboliser l'autre car ici, s'il est nécessaire d'être deux, l'essentiel n'est-il pas dans l'entre deux, dans ce vide médian, ce vide éclaté. Si pour marcher ici, il faut être deux, pour danser, il faut un troisième. On ne respire bien ici qu'à deux poumons. La vie et le mouvement ne peuvent naître que dans cette terre promise de l'entre deux, dans l'espace de la distance ajustée, de la différence acceptée, dans le rythme de l'un vers l'autre, de l'inspire et de l'expire, mouvement et respiration de l'amour qui s'accomplit dans tous les gestes de la vie. Jouer ici, c'est jouir ensemble de la présence d'un troisième qui transfigure tout l'univers, l'homme la femme et toute la création. Jouir dans le bord de cette béance, c'est découvrir l'amour en sa divine origine, dans sa source jaillissante au cœur de la vie. La nature ici nous dévoile un langage et une logique qui dépasse notre vision binaire et étroite d'un monde clos par la logique et les lois des déterminismes humains. Du corps que l'on a, ensemble l'on devient ce corps que l'on est dans la plénitude de l'entre nous. Mais ici l'espace vide est l'espace rempli de lumière." (Maldiney)

La philosophie naît de la vie, c'est en marchant dans la vie qu'elle dévoile se mystère. "Peindre sans trace" comme Shi Tao le pinceau libre dans la main, le regard dans le vide. Sur le tableau, comme sur la page, il ne doit rester que l'esprit de la forme, non la forme réelle.  C'est au cœur de la vie concrète qu'elle nous dévoile tous ses secrets. Il faut donc l'aimer comme une amante, jouer et jouir de ces petits riens, qui font qu'elle est toujours plus belle. Il nous faut jouer avec elle comme avec une enfant, jouir de son mystère, l'aimer de toute son âme, de toutes ses forces de tout son esprit. Aimer de tout son corps Dame nature, c'est réapprendre le jeu bipolaire de la vie, elle est là, elle t'attend et elle est prête à t'aimer. Jette toi dans son jeu, elle désire ta parole, comme une divine semence pour enfanter l'éternité.

François Darbois

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