L'insaisissable et l'inespéré dans l' "entre-deux
Après le choc des philosophiesorientales et la réaction nihiliste du XIX ème, n'est-il pas l'heure decomprendre autrement et de manière positive, les concepts de"vacuité" et de "vide", qui ne conduisent pas uniquement aunéant mais à la plénitude de l'être? L'espace vide, le temps vide, le silenceentre deux notes, ne sont-ils pas essentiel et la condition d'une respirationdes êtres et des choses? Le vide n'ouvre-t-il pas alors sur la distance, cellede l'entre-deux, sur la rencontre possible dans l'union des contraires et lerespect des différences. La création "ex-nihilo", ne dit-elle paségalement en Occident, tout le positif de ce "vide créateur", qui,dans la distance, est le lieu et la condition de toute véritable création? Cetévénement n'est-il pas aussi avènement, une venue prévenante, toujoursadvenante et surprenante? Jaillissement sans reprise, ni retour sur aucun sujetni objet. Rien ne peut retenir, ni enfermer la source cachée qui coule ici. Pardelà toutes les prises, pressenties et travesties par nos représentations trophumaines, il y a quelque-chose, plutôt que rien, il y a un plus qui se dit là,dans l'entre deux qui à la fois, pose la dualité et l'ouvre à son au-delà. Il ya un au-delà qui s'épand dans cet entre-deux et qui vient en soi, mais quin'est pas de soi, qui advient en ce vide qui s'ouvre ici.
La naissance et la véritableorigine d'une œuvre n'est-elle pas dans cette ouverture du rien… qui, esttoujours, de fait, une déchire de la dualité. Evénement-avènement, sans retour,ni renvoi, au creux d'une matière où surgit l'éclat d'une présence. Ecrire etpeindre ainsi, c'est toujours "sans pourquoi"! Simplement la joied'exprimer cette déchirure et en célébrer le jaillissement. Quand l'impossiblesurgit, quand l'inespéré s'est laissé entrevoir et nous saisit, seul le silencepuis le chant permet de l'accueillir et de le célébrer. Et nos pauvres motssont bien petits pour dire ce qui se vit là. Nos rites seuls, tententd'exprimer notre gratitude devant le don mystérieux, invisible et indicible,qui nous est fait gratuitement. Dans l'éclat d'un "entre-deux", àl'occasion d'une rencontre entre objet et sujet, quelque-chose, ou plutôt un"presque rien" surgit dans l'espace d'un regard ou le silence d'uneparole. L'œuvre porte simplement la trace de cette surprise, celle dujamais-vu, du non-su, et du non-dit et qui pourtant se dit là, autrement, pardelà mais au cœur du silence. L'œuvre n'est pas simplement la trace visibled'un vide qui appelle un plein, d'une nuit qui attend une aube nouvelle, d'unsilence qui engendre et prépare une parole, mais appel et invitation audialogue entre l'artiste, le créateur et son œuvre, et ce ou celui qui est enœuvre dans ce jeu? L'œuvre porte l'éclat d'une lumière et d'une présence,manifestation d'un "vide éclaté", lumière qui jaillit des ténèbres,présence qui naît de l'absence, qui est toujours déjà-là mais c'est nous qui,sans elle, n'étions "pas encore" là! L'œuvre attend notre éveil, elleappelle à venir dans l'ici-attentif à ce qui est en œuvre là. Si "l'artrend "visible", comme le disait Paul Klee, c'est qu'il nous rendprésent. Il nous plonge dans l'ici-attentif de l'instant présent qui ouvre auprésent de la présence. L'art nous rend visible ce que, jusqu'alors, personnen'avait jamais vu. L'art, ainsi, nous rend présent à cet autre coté dumonde, il devient "réelle présence"de l'envers des choses en appelant notre présence. L'art est alors une école etune ascèse du regard, l'espace et la condition d'un dialogue,la possibilité d'une rencontre dans l'entre-deux ouvert par le surgissement etla mise en présence des sujets et des objets.
Nos sens cherchent à saisir leréel, à l'investir affectivement et objectivement. Alors que le regard et lamain caressante de l'artiste nous invitent à naître à cette vision enprofondeur comme l'exprime Paul Cézanne dans ses entretiens avec J. Gasquet."La matière n'est pas qu'en surface, elle est toute en profondeur".L'artiste nous apprend à ne plus voir simplement les choses comme de simpleschoses, comme des données objectives ou subjectives, dont nous pouvonssimplement nous saisir par une technique ou une autre. L'art est appel à venirsur l'autre rive du donné pour le découvrir comme autre chose, une boitetoujours vide mais remplie de mille présences insaisissables. Ce n'est plusseulement nous, qui regardons le monde, mais maintenant c'est le monde qui nousregarde. L'art devient appel à venir. Où? Par la porte ouverte parl'entre-deux, de l'autre coté des choses. Il est appel à passer de l'idole àl'icône. L'art est alors lieu de passage et de partage. Distinct du regardcognitif, l'artiste n'a rien à montrer ou à démontrer, mais son art est signeet invitation à nous rendre présent. En ouvrant le rien, il nous invite à nousy livrer et à nous délivrer de tout ce qui nous retient de toute part: ce qu'onsait, ce qu'on croit avoir ou savoir, tout ce qui nous conditionne et nous empêchede voir. "Jamais devant, toujours dedans!" répétait le peintre TalCoat. C'est dans ce passage du dehors au dedans, où le sujet perd sesréférences, ses souvenirs et ses représentations, que s'opère cettetransmutation. Dans la triple nudité des sens, du sens et même du non-sens, alieu ce lâcher prise où tout peut advenir dans la surprise et l'ouverture duréel et surtout celle de notre propre naissance à ce présent.
Art, science et foi sont untriptyque qui ouvre le sanctuaire du réel en nous conduisant de la terre auciel. La naissance de l'art moderne, comme celle de la crise moderniste necoïncident-t-ils pas, avec la fin de la fusion et la confusion du religieux, duscientifique et du politique. La foi sans la science et sans l'art se dessècheen superstition ou en morale inhumaine. Elle perd son esprit et son corps. Elledevient une croyance aveugle et un aveuglement mortifère. La science sans lafoi devient une froide abstraction qui se transforme en idole contre l'homme.L'art de même sans la foi perd son souffle et sépare pour les opposer, dans unfaux débat, peinture figurative et peinture abstraite. Au lieu d'accomplir sonrôle qui est de transfigurer la matière, elle défigure les corps et lesvisages. Science et foi sans art ne peuvent que s'affronter, la foi prenant laplace de l'art, et la science celui de la foi et la liturgie dégénère en jeu decirque. La science sans la foi dérive en scientisme et sans art elle devient unmatérialisme qui étouffe l'homme. La foi doit venir éclairer le rapport entrel'art et la science et leur donner mutuellement vie. Par delà toutes lesidolâtries et toutes les illusions, le regard de l'artiste et celui duscientifique trouvent leur accomplissement dans le regard de foi qui n'estautre que le regard du Christ, toujours déjà là mais c'est nous qui n'étionspas encore là et qui avions à prendre les chemins de l'art, de la science et dela foi pour devenir capable de le voir.
En d'autres lieux et d'autrestemps, religion, science, politique et art ne marchaient-ils pas ensemble auservice de l'homme, dans son double accomplissement personnel et social? AuMoyen Age par exemple, en Orient comme en Occident, artistes, moines et lettrésne faisaient-ils pas qu'une seule et même personne sociale? Pourquoi cet éclatementet cette dispersion aujourd'hui? Pourquoi cette exclusion, entre les domainesreligieux, scientifiques, politiques et artistiques? Sinon par la volonté et laprise de pouvoir de l'une des parties sur les autres. Pourquoi, sinon, par laconfusion première entre ces domaines? Au lieu d'être espace de dialogue et derespect, dans la distance et le jeu entre ces forces de vie et de mort, ce lieuest devenu le terrain d'expression de la volonté de puissance et de ladomination des uns sur les autres, et cela engendra l'éclatement et ladispersion des parties en présence. Ainsi la crise de l'art moderne n'est-ellepas seulement une crise sociale, religieuse et politique, mais métaphysique, etdonc crise de civilisation et rupture du lien social, crise pressentie par lesphilosophes et les artistes de la fin du XIX-ème siècles. Les mouvementsimpressionnistes et post-impressionnistes dans l'art, la crise modernistes enreligion, et le culte du néant en p hilosophie, ne sont-ils pas que le refletdes rejets des métaphysiques totalitaires en philosophie? Après le rejet desmétaphysiques de l'objet par lesphilosophes du XIXème et en denier par Martin Heidegger, puis par le rejet desmétaphysiques du sujet parl'existentialisme athée de Jean Paul Sartre, d'Albert Camus, et par lesstructuralismes, et l'avènement de la sociologie, de la linguistique, querestent-il de la philosophie?
Comme un pont entre l'Orient etl'Occident, il y a un troisième terme, entre sujet et objet:"l'Ouvert" de l'entre deux, présent déjà chez certains poètesd'Occident comme R. M. Rilke et Hölderlin, mais aujourd'hui chez desphilosophes comme Henri Maldiney ou Jean Luc Nancy. Le sujet ici perd sesprojections subjectives comme ses représentations objectives. La rencontre desphilosophies de l'Orient et de l'Occident ne permet-elle pas d'approfondir cetroisième terme, qui s'ouvre dans l'entre-deux par delà les sujets et lesobjets en présence? Entre le vide et le plein, n'y a-t-il pas une autreréalité, comme nous le dit la Chine à travers la philosophie du Tao? Celle dela relation interpersonnelle, de la rencontre…, de la surprise du surgissementdu sujet ou de l'objet? N'y a-t-il pas là, quelque chose, plutôt que rien? Dansla déchirure de l'entre-deux, n'y a-t-il pas un écart et une distance, poséedans la dualité. Dans cette distance, s'ouvre par delà le Rien, ce non-lieu dela non-dualité. Surgissement à partir du Rien, explosion de la plénitude duTout, don d'une présence?
La création artistique est ce"petit rien" : écart et mise à distance, qui ouvre un espace etun temps, qui ouvre le sacré et qui change tout et surtout notre regard.Surgissement et explosion, dans un nuage d'inconnaissance, événement d'unevenue toujours advenante, prévenante et toujours surprenante, jaillissement nonmaîtrisable sans reprise, ni renvoi, ni retour à aucun sujet comprenant etretenant, relevant d'une source nocturne, originelle et immatérielle, matricedans son origine toujours au delà de toute prise pressentie et travestie parnos représentations trop humaines. "Ouvert sur le Rien, art nu" etabandonné à ce qui est et sera toujours sur le bord et dans les marges,l'artiste inaugure cette clarté de l'aube qui advient dans la nuit. Lumière,toujours cachée, derrière le miroir. Toujours de l'autre bord, il nous fauttracer un sillon, ouvrir un chemin et donc écrire ou peindre pour rendrejustice à l'aube. L'art permet cette ouverture, cette déchirure de l'esprit oùsurgit la non-dualité, par delà le concret et l'abstrait, par delà l'objectifet le subjectif.
Dans la nudité des sentiments,des images et des discours sur les sujets et les objets, s'opèrecette libération et cette transmutation. Nos sens cherchaient à saisir le réel,à le subjectiver ou à l'objectiver pour mieux l'apprivoiser. Nos sens nous rendentidolâtres et esclaves de nos représentations, de ce que nous croyons saisir enle nommant comme soit-disant le réel. Nous regardons sans voir, enfermés dansnos images et notre culture, dans lesprisons de nos représentations, comme si la nature et les autres n'avaient plusrien à nous dire. Le regard idolâtrique est arrêté par ce qu'il voit. Il en aplein les yeux. Il ne peut donc aller au delà du déjà vu. La connaissanceidolâtrique a l'intelligence arrêtée par ce qu'elle sait. L'affectivité idolâtriquea le cœur arrêté par ce qu'elle aime. La religiosité idolâtrique a la foiarrêtée par ce qu'elle croit. Dans chaque domaine, les objets de laconnaissance sont pris pour le réel. Or le Réel passe infiniment le réel, celuique l'on voit, celui que l'on maîtrise par son savoir, celui que l'on aimecomme et surtout ce à quoi on croit. Le Réel dans sa profondeur ne peut êtreque de l'ordre de la surprise et de la rencontre. Voir, savoir, aimer ou croirene sont pas des buts en eux-mêmes, mais seulement desétapes vers la connaissance du réel. Il ne faut jamais s'arrêter en chemin. Lechemin vers la véritable connaissance conduit à une nouvelle naissance, où"l'homme passe l'homme", comme l'écrivait Pascal. La connaissancen'est pas seulement quelque chose à acquérir, mais quelqu'un à rencontrer.S'arrêter aux choses, c'est perdre le sens de sa recherche et oublier le cheminet son but. Au lieu de toujours vouloir dominer et analyser les choses, nefaut-il pas changer de regard sur ce réel, si proche et pourtant si lointain?Au lieu de toujours vouloir dévisager les choses et les êtres, pour mieux lesfigurer et donc les défigurer, les maîtriser pour mieux les analyser, nefaut-il pas les envisager et donc leur donner un visage et les transfigurer? Lafinalité de la critique n'est-elle pas dans son abandon et dans cettetransmutation du regard par la transformation de l'étonnement, enquestionnement, en silence puis en émerveillement devant un réel qui resteratoujours ouvert? C'est, écrivait Henri Le Saux, "quand toi, tut'émerveilles, qu'est la vraie connaissance et la seule paix." Il nousfaut donc apprendre à contempler ce Réel, non pour produire de nouveaudiscours, mais pour recevoir ce "nouveau regard" et entrer soi-mêmedans ce divin jeu, se laisser transformer et transfigurer par lui.
L'art, en ouvrant l'entre-deux,nous rend présent à ce présent de la présence. L'art opère ce miracle de nousouvrir les yeux. Il opère en nous cette transmutation du donné en don. Le sensd'un tel art n'est pas en lui-même mais dans le don qu'il nous fait denous-mêmes à nous-même. Par delà tous les sens abandonnés en chemin, le sens dusens c'est nous. C'est notre présence suscitée à venir: "Nous sommes lesens, écrit Jean Luc Nancy, dans le partage de nos voies". Les choses nesont rien, l'important, c'est nous dans le "Ah!" partagé devant lesurgissement des choses. Si le réel passe le réel, c'est parce que, ce Réel,c'est nous dans notre présence au monde partagée. Le Réel est dans ce"Nous" donné et abandonné dans l'écart produit par cet art en échodans la mise à distance. C'est dans cet écho entre les choses et nos présencesrassemblées que se constitue la communauté du sens et ce lien qui fait corps etincarne le sens d'une époque et d'un lieu. L'art ainsi est lieu du passage etdu partage, celui d'une expérience d'émerveillement. L'art ouvre ce "nuaged'inconnaissance" de l'entre-deux, où nous communions ensemble au mêmeéblouissement. C'est dans ce jeu qu'il nous introduit et dont l'enjeu est unecommunauté de "je" distincts et unis. Art et liturgie s'unissentalors pour ouvrir le sens de la vie. Ce jeu est manifestation de l'êtreensemble. Il expose le "il y a quelque chose plutôt que rien", il y amême plus que quelque chose. Il y a un mystère, celui d'un entre-deux qui sedonne dans l'Ouvert. Il ouvre à la présence, mais une présence qui n'est pasailleurs que dans la mise en présence. Ce qui ne cesse de venir
Dans l'absolu nudité desreprésentations, des sentiments, des figurations comme des abstractions, l'artest cet événement - avènement unique et personnel, de l'esprit au creux d'unematière, où surgit une lumière, toujours déjà là, mais c'est nous qui n'étionspas là. L'art nous rend présent, il nous donne de la voir. Ce n'est plus nousqui regardons les choses, mais que ce sont elles qui nous regardent. Tout lemiracle est là, dans cet admirable échange et cette communion. Dans l'événementd'un regard surgit l'au-delà au-dedans des choses. Une altérité advient, dansl'intériorité d'une nature mise à nue par la main caressante de l'artiste. Sousle regard pauvre de l'artiste la matière se dénude et s'ouvre. Elle devientpassage du dehors au dedans, matrice où s'enfantel'œuvre et l'homme. Comme on pétrit la pâte pour faire du pain, la main del'artiste pétrit la matière pour en extraire la lumière. A travers les apparencesvisibles, l'œil de l'artiste écoute et perçoit cette sonorité d'être dans lesilence des choses, son œil écoute la musique silencieuse qui chante à traverstoutes choses. Le regard de l'artiste ouvre l'aube d'une nouvelle réalité. Dansl'épaisseur aveugle des choses, il met en lumière une présence. Son regard metau jour une lumière jusqu'alors invisible, qui surgit en s'imposant comme lesentiment d'une invisible lumière qui éclaire toutes choses.
Ouvrir l'entre-deux n'est pasfuir vers le ciel d'une abstraction défiguratrice de la réalité, maiss'enfoncer dans l'épaisseur d'une matière à ensemencer et à laisser germer pourla transfigurer par la présence d'une parole qui transparaît plus qu'ellen'apparaît. L'œuvre devient alors le lieu de communication entre la matière etl'esprit, par delà les constructions et les déconstructions entre le concret etl'abstrait. L'art d'un véritable créateur est d'actualiser notre présence,école du regard, qui au lieu de dévisager et de juger toutes choses, de saisirles choses avec nos mains et surtout avec nos esprits, la véritable œuvre del'artiste est de nous dénuder et de nous faire lâcher prise, pour nous laissernous émerveiller de l'au-delà du visible.. Dans cetteépiphanie de l'oeuvre, nous avons accès à ce qui est, par delà tout ce quiexiste. Mais cette connaissance ne peut se laisser saisir ou enfermer par nosdiscours. Elle nous surprend toujours, en nous déprenant de nous-mêmes. Ellenous ouvre un avenir en nous mettant en chemin. Elle nous attire vers cetau-delà caché et voilé, toujours déjà là et en attente, mais c'est simplementnous qui n'étions pas là, dans le surgissement de sa présence.
En art comme en amour, ce quin'est pas donné est perdu. Ce qui n'ouvre pas est à jamais fermé. Ce qui n'appellepas à venir sur le chemin du Rien, ne peut que conduire à la totalité close.Tout ce qui n'invite pas au passage du dehors au dedans, ne peut que conduireau néant. Tout ce qui n'ouvre pas au partage et à la rencontre ne peutqu'enfermer et finit par exclure. L'oeuvre est cette déchirure d'une matière etd'un homme, donné et abandonné jusqu'au bout de lui-même. Dans toute véritablecréation, l'auteur comme Dieu, se retire, pour que l'autre advienne. L'artconsiste à laisser jouer "l'écart, l'intervalle ouvert qui l'articule entant que symbole." Art de la distance et des liaisons toujours ouvertes etjamais fermées dans l'entre-deux. Cette distance nous libère de touteutilisation de l'art et de ses risques d'idolâtrie. L'art, alors n'est plus auservice, ni d'une théologie, ni d'aucune idéologie politique, morale oureligieuse. L'art s'offre à nous dans sa nudité, comme ouverture du sens del'existence et de notre être au monde, dans l'écart singulier et pluriel de sesexpressions. L'art comme la philosophie n'est plus la servante d'une théologie,mais il acquière le droit à une existence autonome, une façon propre d'être aumonde.
Si l'artisteéprouve le besoin de faire de l'obscurité sa demeure, c'est que
L'art devient ici de l'ordre dusecret, celui de la vie, qui est un mystère à la fois splendide et angoissant,qui ne peut que se vivre et se célébrer. Baudelaire témoigne : "Tout
Art nu, œuvre ouverte surl'humain et le divin, par delà toutes les figurations et défigurations, ellerayonne cette douce lumière de la transfiguration. "Ici les éléments retrouvent leur voix. Pierres ,rochers, sable, vent, feu du soleil et neige d'étoiles glacées dans la nuit,tout parle. Et la clarté de leur évocation est telle qu'aucune excitation nevient brouiller les paroles." Communication totale de l'humain et dudivin dans l'entre-deux ouvert par la déchirure du Rien. "La vie est présence totale, parce qu'elle est une force simpleet infinie qui se diffuse en une continuité dynamique. Plotin saisit la Vie, dudedans, comme un mouvement pur, qui est partout, sans s'arrêter nulle part, quiest "déjà là", ayant toutes les formes particulières qu'il engendresans s'arrêter en elles
L'ultime travail à accomplir, ence lieu de l'entre-deux, n'est-il pas de laisser l'espace et le temps faire sonœuvre, de poser et d'ouvrir la dualité, et de laisser "le Gangecouler" entre ses deux rives? Le monde attend des choses, des images oudes idées, alors que l'essentiel, ici, est le vide, l'attente silencieuse dansl'espace libre, l'ouverture au non-dit dans l'entre-deux du dit. L'essentiel ici n'est-il pas de se taire et de contempler ce qui sevit là! L'unique travail, en ce temps déjà en dehors du temps et en ce lieu dunon-lieu, n'est-il donc pas l'œuvre dernière d'une vie, qui au fond est decouper l'ultime différence "entre celui qui cherche et celui qui estcherché"? S'enfoncer dans la nuit du mystère et "laisser le Gangecouler", n'est-ce pas laisser faire le silence de l'imagination et de lapensée, du discours et des images? N'est-ce pas là dans l'entre-deux, vide detout mot et de toute image, la seule véritable connaissance et la source detoute paix? L'homme, ici, ne rencontre les autres en vérité et ne peut serencontrer lui-même, que s'il rencontre cet abîme infini dans l'homme. Lepeintre alors devient aveugle et le poète muet. Devant le mystère d'un mondeouvert, ils ne peuvent qu'être déchirés. Etre au monde pour l'artiste, c'esttoujours se laisser consumer par ce rien habité par le frémissement de sonpassage.
FrançoisDarbois La Buissonnière 5, rue duMorgon 05200 Puy Sanières? TEL FAX 04 92 44 28 93. e-mail: francois.darbois@laposte.net.http://perso.wanadoo.fr/francois.darbois