Chu Ta

Shi Tao

 

Henri Maldiney

Art existence

Kliencksieck, Paris, 1985, p. 178-179

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"Pour peindre comme cela il faut avoir beaucoup souffert, disait Cézanne devant un tableau du Tintoret.

"La peinture, c'est l'émergence de la nouveauté." dans les souffrances d'un douloureux enfantement de l'œuvre. Il faut nécessairement mourir à l'ancien pour naître à la nouveauté. La présence efficace, quelle qu’elle soit, se tient dans la pure éclaircie du Vide ou du Rien, lequel n’est pas un nihil négativum. Le Vide n’est pas l’évacuation du monde, le Rien n’en est pas l’anéantissement, mais la condition qui en rend possible la manifestation.

Lorsque le pouvoir divin opère, le Pinceau-encre atteint la vacuité.

Le vide est nécessaire à l’eficacité et à l’actualisation du Plein. Il est "le lien fonctionnel où s’opère la transformation.", transformation de l’un en l’autre qui ne fait qu’un avec celle de l’autre en l’un. Par le vide et en lui se trouve résolue en simultanéité d’espace la distinction temporelle de l’aller et du retour.

"Le Tao a pour origine le vide, du vide est né le cosmos dont émane le Souffle vital." Le vide est à la fois l’origine et la voie. Ce qui signifie que l’origine est la voie et la voie l’origine. La peinture chinoise est la révélation de ce mystère.

Partout doit s’emmêler Vide et Plein. Leur interpénétration n’est pas un mélange sans règle, mais une mutation. Les mutations sont des productions alternantes où chacun produit celui dont il est lui-même produit. Si tout Yin, tout Yang, c’est là le Tao", c’est aussi la peinture. Le Tao est ce permet la séparation et l’unité des opposés: le lieu de la transformation. …Le vide est le lieu sans lieu dont la forme qu’il suscite fait un lieu d’être. La forme n’est pas la trace. Elle n’existe qu’à travers ses ruptures. "Dans le tracés des formes, bien que le but soit d’obtenir un résultat plénier, tout l’art de l’exécution est dans des notations fragmentaires et des interruptions; DE chaque vide irradie le grand Vide duquel elles émergent et dans lesquels elles communiquent entre elles, dans l’unique souffle rythmique.…Le souffle et l’esprit procèdent du rien qui n’est pas rien, mais l’être véritable qui ne se laisse pas rabattre par l’étant, dont il ‘est la condition d’être, qui est comme dit Lao Tzeu, le secret de l’être.

La peinture vit de ce secret." S’il est aisé au Pinceau-Encre de peindre le Visible, le Plein, il lui est plus difficile de représenter l’invisible, le Vide. Entre Montagne et Eau, la lumière des fumées et l’ombre des nuées sont sans cesse changeantes. Tantôt elles apparaissent, tantôt elles s’estompent. En plein éclat ou dissimulées, elles recèlent en leur sein le Souffle et l’Esprit. Les Anciens cherchaient par tous les moyens à en sonder le mystère.

 

 

 

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